Repas de noël, dimanche midi. Mon père, que je n’avais pas vu depuis longtemps, s’installe face à moi et ne me décroche pas un mot. Etrange. En partant en direction de la cuisine pour aider à servir les entrées je croise sa nouvelle femme. A mon sourire elle me répond accusatrice :
« Ton père a lu ton livre hier ! Il est extrêmement déçu par ce que tu dis sur lui»
Je suis tellement sciée que j en reste sans voix !
La flèche est décochée. Je la reçois en plein cœur. Pas moyen d’arrêter sa progression. Impossible de rester impassible ou de relativiser. Je suis de nouveau la mauvaise fille qui déçoit son papa. Retour en arrière de 15 ans. J’ai envie de m’enfuir de l’appartement familial !
A table, je reste muette. Un peu avant le dessert mon chéri se lève. Je fonce le rejoindre pour me plaindre. Immédiatement il se marre. « Ton père est vraiment incroyable ! Gentil mais totalement narcissique ! » En voyant que je ne souris pas, il me conseille de rester calme. Je sais comment il est et je dois relativiser. « Ne te laisse pas avoir encore une fois. Il rejoue toujours le même mécanisme avec toi. Il prend le pouvoir en te culpabilisant. Ne lui donne pas ce pouvoir. »
Il a raison. Bien sûr. Mais je ne peux pas !
Ce qui est fou dans la vie, c’est qu’on peut être en capacité de voir un mécanisme se mettre en place, implacable, mais être pourtant dans l’impossibilité de l’arrêter. C’est exactement le cas de ma relation avec mon père. Je vois venir la dispute, je le vois abattre ces pions sur l’échiquier, mais je ne trouve pas de parade pour calmer le jeux. Instantanément je me renferme, je boue, je suis touchée en plein cœur par ces mots volontairement durs et je ne peux plus redresser la barre. Pourtant une relation se joue à 2. C’est bien moi qui lui donne le pouvoir de me déstabiliser. Je pourrais rester froide et insensible. Garder le contrôle. Mais toutes mes blessures de petite fille remontent immédiatement à la surface. Incontrôlable. C’est dingue quand même ! A 32 ans il serait temps que je sache gérer mon père pour ne plus le laisser m’atteindre. Juste le tenir à distance avec intelligence et courtoisie. Mais je ne sais pas faire… Une vrai gamine !
Je repars donc à table en tournant la question dans tous les sens. Le livre fait 200 pages. Je parle de notre combat à toute contre l’infertilité. Je ne parle jamais de mon père. Une seule petite phrase en plein milieu du livre:
« Avec mon père on s est beaucoup disputé mais on reste attaché, on a su garder l‘essentiel. »
Lui il n’a retenu que cette phrase. Rien d’autre ne l’a touché ou intéressé. Il n’a vu que lui.
Il aurait sans doute préféré lire à quel point c’est un père parfait et merveilleux. Meilleur pour son orgueil et son narcisse.
Sauf que c’est faux. Il a ses qualités et ses failles…
Mon père est tout et son contraire à la fois. Depuis toujours on se dispute. Il juge ma vie et mes choix. Il est orageux. Il contrôle. Il rabaisse. Il veut être au centre de tout. Mais il est autre chose aussi. Il peut devenir aimant et drôle. Généreux. Il complimente. Il peut être sociable et tellement lumineux qu’on en oublie tous les épisodes les plus noirs. Il est dans ces bons jours. Et puis l instant d après, sans crier garde, il s’offusque et critique. Mon frère et moi nous sommes ingrats. C’est son leitmotive. Il nous culpabilise. Ses enfants sont tantôt gentils et aimables, tantôt ingrats et à bannir. Il répète sans arrêt qu'on lui doit tout et qu’on ne lui rend rien. Maintenant j’arrive à ne plus l’écouter et à en rire mais longtemps ça m’a été insupportable.
J’ai toujours eu envie de le fuir. Autant que d’être acceptée et aimée par lui. Ah l’ambivalence quand ça nous tient ! D’ailleurs j’ai fui très tôt. Mesure de sauvegarde. Je me suis mariée très jeune. A l’étranger. J’ai beaucoup voyagé le plus loin possible. Mais je suis toujours revenue. Tout prêt de lui. Pour recevoir la douceur de la caresse paternelle qui de nouveau vous accepte après des mois de rejet.
Un vrai truc de barjo que cette relation au père !! C’est aussi douloureux d’être près de lui quand il me critique, inlassablement, que d’être rejetée par lui… Vite vite un pain au chocolat pour me réconforter… Ah zut non Marie il faut grandir et apprendre à régler tes problèmes autrement… Pffff c’est nul d’être grand…
Je n’en veux pas à mon père. Je souhaite juste ne plus lui donner le pouvoir de m'atteindre. Je n'attends plus qu'il change. Je sais aujourd'hui qu'il ne changera pas. Trop difficile de se remettre en cause. C’est un homme qui, sous une façade ensoleillée est tourmenté. Il voudrait qu’on soit à lui. Près de lui et à disposition. Soumis et toujours admiratif. C’est une homme qui est dans la toute puissance avec sa progéniture. J’imagine que c’est incontrôlable pour lui. Qu’il ne le voit même pas. Trop occupé à nous critiquer. Et puis il est loin d’être le seul parent dans ce cas. Peut être même qu’ils sont rares les parents qui parviennent à accompagner l’envol de leurs petits sans se sentir abandonnés.
Lui évidemment ne voit pas les choses comme moi. Pour lui j'étais une petite fille trop fragile. Une adolescente susceptible et aujourd'hui une adulte ingrate. Mon frère, lui, gère bien le géniteur. Il connaît son père et sait traverser les orages. Il ne lui donne pas le pouvoir de l’atteindre. Leur relation est plus calme. Pour moi s’est plus compliqué. Je suis la petite dernière. Tel un empereur romain il lève le pouce et me caresse la tête quand il est satisfait de moi. Et moi je suis heureuse de l’attention. Ou il baisse le pouce et me met à terre quand le vent tourne. Et moi je suis malheureuse. Je lui laisse le pouvoir de choisir mon humeur. En tout cas c'était le cas jusqu'à présent, parce que c'est décidé, ça va changer.
J'étais incapable, jusqu'à présent, de le remettre à sa place. Trop peur d’être banni. A 20 ans je me souviens avoir tenté un putsch. Totalement inconsciente la nana !! Je souhaitais partir me marier à l'étranger. Mon père était contre. Une folie. Comme je ne cédais pas il m’a banni. Je suis partie vivre une des plus belles expériences de ma vie et lui ne m'a plus adressé la parole pendant presque un an. Je n'avais rien fais d'autre que vivre ma vie. Mais mes choix lui déplaisaient. L’empereur romain avait remis sa toge. J’étais une mauvaise fille ingrate. Il ne me parlerait plus. Mise à distance pour lui. Douleur du rejet pour moi. Il avait fallu des mois pour qu’il me parle de nouveau. Je me souviens avoir écrit une lettre pour nous réconcilier. Des mots doux et soumis pour quémander le pardon. Il n’avait pas même répondu.
Le temps faisant son affaire, une fois réadmise à sa table il avait refusé qu'on parle de cette dispute. On ne parle pas de ce qui est important. Jamais. On doit juste savourer la joie de n’être plus exclus. Tout doit toujours aller bien. La façade est importante.
J’ai grandi et je me suis construite. Plutôt bien je crois. Soutenu par ma mère, quelque soit mes choix de vie. (Je l'entends encore me souhaiter un beau mariage, à l'autre bout d'une ligne téléphonique grésillante. Elle était heureuse pour moi et inquiète aussi. Mais en tout cas elle était là.) Et ballottée par mon père entre affection et rejet. Je crois que je l’ai toujours déçu. En tout cas je l’ai toujours entendu critiquer mes choix.
Et puis à 24 ans j’ai rencontré mon chéri. Tellement équilibré que ça en est flippant ! Tout s’est apaisé et nous avons construit un foyer doux et aimant. Un espace où je suis adulte et capable de faire mes choix sans peur du jugement paternel. Enfin un peu de repos!
Parfois je songe que, pour devenir vraiment adulte, il ne me reste que 2 étapes à parcourir :
- Me libérer de l’emprise émotionnelle que garde mon père sur moi. De cette culpabilité de ne pas être une bonne fille. Pour réussir à occulter ses défaut et à apprécier ses bons côtés sans risquer de m’écraser au sol à chaque remarque désobligeante.
- Et, bien sûr, d’avoir un enfant et de devenir, à mon tour maman. Une gentille maman sans sentence ni jugement. Une maman qui accompagnera son petit dans ses choix de vie sans pression. Une maman qui sera heureuse de le voir s’éloigner pour vivre sa vie (bon même si je pleurerai quand même un peu le moment venu) Je le jure la main levée ! Tu m’entends la haut oh toi dieu de la fertilité ? C’est bon tu peux faire en sorte que cette FIV fonctionne je suis prête!!
Je me demande jusqu’où tout cela est lié… Jusqu'à quel point mon infertilité peut être saupoudrée de mon histoire familiale… On sait à quel point l’inconscient peut compter… Ou pas. Je n’ai pas de réponse. Mais je m’interroge. Il y a quelques mois, quand mon père a appris que je voyais un psy pour m'aider à gérer l'attente de bébé, immédiatement il m'a dit "Il faut se méfier des psychologues, ils vont juste te mettre dans la tête que tout est ma faute." Puis il a ri...
Bon, bon, bon…
Que toutes celles qui ne trouverons pas d’intérêt dans ce chapitre biographique (extrêmement long !!!) ne s'inquiète pas, j'arrête là!! Que voulez c’est l’esprit de noël, ça m’a rendu songeuse !!
Et puis, peut être, certaines se retrouverons un peu dans ce type de mécanismes familiaux… Avouons que c’est marrant à analyser…
C’est drôle aussi parce que, sur ce blog, nous avons souvent échangé sur nos belles mères, parfois sur nos mères mais jamais, jusqu’à présent, sur nos pères… Pourtant les relations pères-filles sont rarement anodines… Non ? Surtout pour nous qui voulons toutes un bébé…